Étude comparée générale de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette et du film La Belle Personne.
Très
étudié en France dans les classes de collège et de lycée, La
Princesse de Clèves
n'est pourtant pas le premier titre qui nous vient aux lèvres
lorsque l'on nous demande de citer un exemple de mythe amoureux. Il
présente malgré tout de nombreux éléments essentiels à la
création du mythe, comme le coup de foudre, suivi pour les deux
héros de souffrances, amenées par l'impossibilité de leur
relation. C'est peut-être parce que Madame de Lafayette a choisi
d'insister sur le sacrifice de l'héroïne dans sa lutte contre la
passion que cette histoire, pourtant très forte symboliquement, n'a
pas autant marqué les esprits que Tristan
et Iseult
ou Roméo
et Juliette
(étudié plus loin), par exemple.
En
Janvier 2008, le réalisateur Christophe Honoré décida de se lancer
dans l'adaptation de ce roman, considéré par beaucoup comme le
premier roman moderne, afin de couper court à «
l'idée qui traînait derrière les mots de Nicolas Sarkozy : que la
culture n'est pas pour tout le monde, qu'elle est socialement
déterminée, réservée aux nantis ». (Voir
discours de Nicolas Sarkozy, lorsqu'il n'était pas encore président
de la République (http://www.wikio.fr/video/335479).
Sa volonté était donc de montrer que l'histoire de la princesse de
Clèves n'est pas tombée en désuétude et mieux, qu'elle est
moderne et accessible. Dans ce but, le réalisateur décida de
transposer l'intrigue (qui se passe initialement au XVIe siècle,
sous le règne d'Henri II) dans un lycée du XVIe arrondissement de
Paris, de nos jours. Nous allons voir ici ce que cette transposition
cinématographique peut apporter à la création d'un mythe amoureux
moderne.
Comme
nous l'avons dit précédemment, les premières différences notables
entre le livre et le film concernent le cadre spatio-temporel. En
effet, le passage de la Cour d'Henri II au XVIe siècle à un lycée
parisien du XVIe arrondissement marque la volonté du réalisateur
d'apporter de la modernité au texte, tout en gardant un maximum
d'authenticité, en choisissant un lieu qui reste proche de
l'original (le XVIe arrondissement est un des quartiers bourgeois de
Paris). C'est à la fois le cadre dans lequel sont filmés les
adolescents, le lycée Molière, avec ses galeries ouvertes et ses
balcons, qui permet aux adolescents d'être perpétuellement en
représentation, et les personnages eux-mêmes, qui semblent à la
fois modernes et sortis d'une autre époque, de part leurs vêtements,
souvent peu modernes, leurs coiffures etc, qui permettent de rendre
l'adaptation à la fois crédible et moderne.
Évidement, les personnages deviennent des
adolescents d'une quinzaine d'années, en remplacement des adultes,
dominants dans La Princesse de Clèves.
De plus, la plupart des personnages
ont conservé leurs noms respectifs dans l'adaptation de Christophe
Honoré : Le roi Henri II devient Henri, jeune homme orgueilleux et
pédant, la Reine Catherine de Médicis devient Catherine, personnage
peu présent dans le film, la Dauphine Marie Stuart devient Marie,
l'ancienne maîtresse de Nemours, toujours amoureuse de lui,
etc.
Dès la première scène, on remarque la volonté du
réalisateur de transposer l'atmosphère qui régnait à la cour
d'Henri II dans la salle de classe. Les adolescents semblent tous en
représentation, les regards se croisent, tout le monde semble épier
tout le monde, en silence. Le réalisateur a aussi souhaité, à
moindre mesure, conserver le langage précieux, cher à Mme de La
Fayette, en le disséminant tout le long du film. On retiendra la
réplique de Marie, après sa rupture avec Nemours : « C'est
bête, j'ai comme une très grande douleur de vous quitter
monsieur », qui s'oppose au langage qu'elle utilise
précédemment.
Enfin, le film
conserve les moments clés du livre : le vol du portrait, l'intrigue
autour de la lettre, etc.
Mais
pour coller à l'esprit du livre et probablement aussi pour limiter
la durée du film, ces moments ont évidement dû être réécrits.
Le vol du portrait est dans le film consécutif à la première
rencontre entre Mlle de Chartres (Junie) et M de Nemours, et
l'intrigue autour de la lettre permet d'ajouter une intrigue
secondaire, autour des liaisons homosexuelles du vidame de Chartres,
appelé Matthias dans le film. Concernant ce passage, le réalisateur
a choisi de très peu montrer la réaction de Junie après la lecture
de la lettre, laissant le spectateur l'imaginer, selon son propre
caractère, ses idéaux... : certains penseront qu'elle a
pleuré, et d'autre penseront au contraire qu'elle est restée
stoïque. A l'inverse, dans le livre, Mme de Lafayette insiste
longuement sur le sentiment de jalousie qu'éprouve la princesse… Ces intrigues supplémentaires
sont l'occasion pour notre héroïne d'observer les méfaits de
l'amour secret et passionnel. Toutes les intrigues secondaires
semblent d'ailleurs présentes pour mettre en garde l'héroïne.
L'histoire de Mme de Tournon, racontée à Junie par le prince de
Clèves (Otto), est une nouvelle occasion pour elle d'observer à
quel point les relations qu'entretiennent les personnages du film
sont basées sur le mensonge, l'hypocrisie.
Le réalisateur a
aussi choisi d'ajouter un obstacle supplémentaire, entre Nemours et
l'héroïne : Nemours est dans le film professeur d'italien et Junie
est son élève. Cela implique donc une forte différence d'âge
entre eux, et rend la relation évidement encore plus impossible. De
plus, leur différence d'âge implique aussi une différence de
pensée : Junie est persuadée que la passion est un sentiment
égoïste, tandis que Nemours pense qu'« avoir le courage de
ses sentiments, ce n'est pas si facile ». Nous avons donc deux
visions différentes et presque opposées de la relation amoureuse :
celle d'une adolescente, plus idéalisée, et celle d'un adulte, plus
réaliste. C'est aussi cette différence de pensée qui empêche leur
relation de fonctionner et même d'exister, puisque Junie ne cédera
jamais à ses passions, leur préférant la raison.
Enfin,
le choix fait par le réalisateur pour la mort d'Otto (le prince de
Clèves), montre une envie de moderniser l'histoire : le suicide rend
la mort plus frappante pour le spectateur, et permet de mettre en
valeur la culpabilité de Junie dans cette mort. De plus, la mort
lente de M de Clèves dans le roman est plutôt difficile à
représenter dans un film. Le réalisateur Christophe Honoré a aussi
changé le nom de l'héroïne : elle s'appelle dans le film Junie,
nom qui renvoie à la mythologie racinienne, Junie étant un des
personnages de la tragédie Britannicus,
qui à la fin de la pièce préfère se faire vestale, afin de ne pas
épouser Néron qu'elle déteste. Ce choix de prénom est donc
symbolique, car il fait allusion au personnage de Racine, et renvoie
aussi au personnage originel de la Princesse de Clèves, qui s'enfuit
au couvent.